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Vous ne voulez pas savoir...

À la poursuite des chats perdus
Prologue: Bibliophilie

Chapitre 4

-- "Je suis désolée pour le livre..."

Turlan contempla l'ouvrage, qui était orné d'incrustations supplémentaires, quoique peu esthétiques.

-- "Ce n'est pas grave, c'est la mule."

Il dut sentir qu'elle allait poser la question et continua: "C'est un ouvrage que l'on a fabriqué avec des restes disparates. On l'emploie pour l'apprentissage des imagiers-archivistes qui utilisent le réplicateur, une compilation des pires difficultés." Il eut un bref rire. "Considérez votre geste comme l'ajout d'une difficulté supplémentaire..."

Le secteur étant envahi par une horde d'enquêteurs de la sécurité, les deux s'étaient rapatriés vers une loge plus calme. Loo-Luna avait rangé son épée, repris ses esprits. Et du thé, aussi. La tension était retombée.

-- "Au fait, c'était quoi, ces... vers?", demanda-t-elle.

-- "Hmm... je ne suis pas un expert en ce genre de choses, mais je dirais que ça ressemble à des éléments de robotique."

-- "Un golem technologique?"

Turlan sourit. En eyldarin, les deux expressions étaient similaires.

-- "Quelque chose comme ça, oui. Mais ne vous inquiétez donc pas, on a des gens qui peuvent se charger d'analyser les restes. Ils ne devraient pas tarder à nous en dire plus sur cette construction curieuse. Peut-être un nouveau moyen pour retranscrire les ouvrages, plus discret que le vol pur et simple: il me semble avoir vu quelque chose qui ressemblait à un capteur optique."

Assomée par le reflux d'adrénaline et quelque peu dépassée par le côté technologique, Loo-Luna enregistra la dernière expression sous le vocable voisin de <<oeil artificiel>>. Elle acquiesca mollement.

-- "Oh, au fait...", continua-t-il.

Loo-Luna regarda le vieil homme, surprise.

-- "Vous vous souvenez lorsque je vous ai dit que votre nom n'était pas commun?" Cela ne faisait pas deux heures, elle s'en souvenait. "Eh bien en fait ça me disait quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Maintenant je me souviens: la Légende de l'Inithil!..."

La nouvelle réveilla quelque peu Loo-Luna. Il y a certaines personnes chez qui l'expression "dresser l'oreille" prend tout de suite une connotation spéciale...

-- "Oui, je l'ai lue, mais on ne mentionne pas ce nom..."

-- "Ça dépend des éditions. Je suis sûr de l'avoir vu au moins une fois. Ça avait rapport avec un clan secouru par l'Intihil, ou influent à bord. Si vous voulez, je peux vérifier."

-- "Euh, oui... Je veux dire, volontiers, et..." Tout allait un peu vite. Loo-Luna réfléchit à grande vitesse avant de se lancer: "... si vous pouviez aussi voir pour le nom de Celebrin..."

-- "Quelqu'un de votre famille, hein? Je vais voir."

-- "Merci... Turlan." Elle avait du mal à s'habituer à la désuétude des titres. "Avez-vous encore besoin de moi pour le moment?"

L'archiviste la regarda un instant avant de répondre: "Non, non... Allez vous reposer un moment." Il ajouta malicieusement, alors que Loo-Luna se dirigeait vers la sortie: "Je pense que j'arriverai à vous faire retrouver, si jamais j'ai besoin de vous..."


Loo-Luna trouva facilement son chemin vers une terrasse. Elle se sentait un instinct de tournesol et avait besoin d'une urgente cure de soleil. Après dix jours de voyage interstellaire, les deux heures dans les sous-sols des archives s'étaient avérés de trop. Un banc accueillant dans un océan de verdure lui eut tendu les bras s'il en eût; elle s'y posa avec un soupir.

Un instant, elle se dit qu'elle avait peut-être passé l'âge de courir après des chimères dans des salles souterraines ou d'affronter des golems, fussent-ils technologiques et minuscules, avec une épée. À la vérité, le monde avait changé. Radicalement. Et pas elle.

Elle regarda, du haut de son promontoire, Tara Eokardia s'étendre à perte de vue. Dans la plaine, la ville ressemblait à un immense jardin d'où émergeaient quelques tours, ça et là. La plupart des habitations étaient plus ou moins souterraines, avait-elle lu.

Elle avait vu Copacabana, une ville terrienne qui soudainement lui parut très lointaine, tant géographiquement que culturellement; les immeubles y étaient immenses, surgissant dans un désordre complet dans une cuvette au bord de la mer.

Elle avait aussi vu -- plus brièvement -- Tor-en-Eythelyan, la capitale de la République Eyldarin, Plus un parc avec des maisons dessus qu'une ville.

Elle avait vu aussi des images d'autres cités de cet espace qu'on appelle la Sphère et dont elle avait du mal à se représenter l'étendue.

Trop de chiffres, trop grands; à ce niveau, ça ne voulait plus rien dire.

Et elle, dans tout ça? Elle se saisit de la petite carte que Galadril lui avait remise. Ses "papiers d'identité". Loo-Luna de Lleniel en résumé, en huit centimètres sur cinq... Ce qu'elle était aux yeux de ce monde. Un mot se démarquait: telandil.

-- "Toujours mieux que rien", soupira-t-elle en rangeant la carte.

Se relevant lentement, elle prit son courage à deux mains et se dirigea vers un terminal public, qu'elle avait croisé en venant. Il était temps de faire son retour sur la scène sociale.

Chapitre 5

Le Temps étant ce qu'il est, sur Eokard comme ailleurs, les heures avaient passé.

Après une lutte sans merci, Loo-Luna avait réussi à extorquer au terminal l'adresse qu'elle cherchait. L'accueil y avait été plutôt bon, les gens agréables et plutôt bien disposés; les rumeurs autour de son entrée au sein de la Guilde n'était pas parvenues jusqu'ici, ou alors elles avaient été ignorées. Elle passa en fait le plus clair de sa journée à discuter avec eux. Et les choses devinrent un peu plus claire.

Loo-Luna rentra chez elle dans la soirée, dormit un peu et se prépara.


Kyoshi Kerensky regarda par le hublot. Ou plutôt, par l'écran qui restituait la vue extérieure. Sa descente sur Eokard était accompagnée par l'imbrication des accords torturés de House in the Laurels, une des chansons de Ghostfinder, le dernier album de Moonshiner. Ce n'était pas exactement son style, mais c'est tout ce qu'elle avait trouvé à Alenia.

La navette était pour ainsi dire vide: à peine une dizaine de personnes. Elle devait être la seule terrienne du tas. Elle avait d'ailleurs eu droit à la totale à la Douane. Surtout à cause de son NCC Gauss mod. 19. Elle avait beau avoir toutes les licences possibles et imaginables pour cet engin, on continuait à la regarder de travers à chaque passage de frontière. Bon, d'accord, c'était un revolver anti-char, mais quand même...

À moins que ce soit sa tenue. Il est vrai que la combinaison SecondSkin(TM), comme son nom l'indique, redéfinissait le concept de "moulant". Si on ajoutait à celà des détails aussi piquants (c'est le mot!) qu'une panoplie de boucles d'oreilles -- et pas seulement d'oreilles, d'ailleurs... --, colliers et bracelets à cadenas, une licence de détective privée et un passeport de Copacabana (une référence dans le domaine de la fiabilité...), on pouvait mieux comprendre les accès soudains de méfiance de la gent douanière. Ainsi qu'une envie irrésistible de se livrer à une fouille au corps, encore qu'au vu de la tenue, un centimètre de fil dentaire eût été immédiatement visible.

Kyoshi ne s'était jamais arrêtée à ces détails. Ou, pour être plus précis, elle ne s'y arrêtait plus. Au moins, elle n'avait pas mis le harnais en cuir qui accompagnait la combinaison. À contre-coeur, mais elle savait que ça avait plus de chance de choquer un douanier Eylda ou Atalen qu'un pin's de la Dame de Fer...

Kyoshi pensa à celle qui devait sans doute l'attendre, quelques centaines de kilomètres plus bas. Le groupe venait d'attaquer The Verrat, un grand final instrumental tourmenté, dominé par un improbable duo guitare-violon conjurant des images de chute vers des abysses indicibles. La navette plongea dans la nuit, vers Tara Eokardia.


Un grand coup de vent, une odeur de sel et d'embruns, un mélange de garrigue et de maquis exotique, et Kyoshi sut qu'elle était arrivée.

Sur n'importe quel starport terrien -- et Bouddha sait qu'il y en a dans la Sphère -- son arrivée aurait plutôt coïncidé avec des relents d'hydrocarbure et d'huile sale, une chaleur insupportable ou un froid glacial, et tant de bruit qu'elle en serait devenue sourde en posant un pied sur la piste.

Mais là, à quelques années-lumières de toute habitude terrienne, elle voyait un starport somme toute bien modeste -- si tant est qu'une piste conçue pour faire atterrir des engins spatiaux puisse réellement être considérée comme "modeste"... on s'habitue à tout --, entouré des maisons basses, et d'aucun des grands buildings qui fleurissent normalement autour de ces structures-là. Et surtout, surtout, rien qui lui indique où pouvait être le bâtiment principal de la piste, et donc où pouvoir trouver de quoi s'asseoir, boire, consulter un office du tourisme, connaître la législation sur les armes et la légitime défense, enfin, bref, tout ce qu'une citoyenne de Los Angeles pense à demander quand elle est officiellement en vacances...

Un quidam, aux cheveux tellement longs et bouclés qu'il aurait eu peu de mal à entrer dans n'importe quel groupe de rock, tendance métallo-bruitiste, dut saisir sa détresse, car il s'approcha d'elle:

-- "Je puis vous aider?"

Un sourire, et son visage devint presque lumineux, encadrant des yeux humains, mais pourtant avec quelque chose d'indicible, d'indescriptible, mais pour tout dire, craquant. Un Atalen, un vrai... Kyoshi se mit à penser que s'ils étaient tous comme ça, elle allait vraiment passer des vacances ici... et longtemps, de surcroît!

-- "Mmm... Eh bien, je suis terrienne et..."

-- "Ça, je me doutais que vous n'étiez pas atlani, vous savez..."

Kyoshi se demanda comment prendre la remarque de son charmant interlocuteur, et n'eut que le temps de reprendre son contrôle avant qu'un tentacule mental ne parte sonder cet homme pour en tirer d'emblée tout ce qu'il pouvait bien savoir...

-- "N'est-ce pas?... En fait, je suis en train de me demander où peut bien être le hall d'accueil du starport. Je ne le vois pas... Dans mon pays c'est facile à reconnaître, c'est toujours très grand, très impressionnant, et avec des indications partout. Et en plus, on est le plus souvent conduit devant en bus, ou alors carrément dedans. Mais là..."

L'homme eu un deuxième sourire de compréhension. Kyoshi décida qu'elle avait autre chose à faire que fondre, même si une partie d'elle-même se moqua bien de cette décision.

-- "Mais, vous êtes devant! C'est peut-être parce que chez nous on ne met pas de barrières partout et que les gros bâtiments sont enterrés, peut-être... À moins que ce ne soient les glyphes..." Il montra un symbole sur le sol, dans une matière différente du béton vitrifié du tarmac, d'un gris plus foncé et mat. "Suivez-moi, c'est juste à coté."

Kyoshi se souvint brutalement que les Eyldar avaient cette habitude d'utiliser les lettres de leur alphabet aussi comme symboles, que les Atlani d'Eokard aient repris le principe n'était pas très étonnant. Elle se demanda qui elle devait maudire, lui ou elle, mais effectivement, il y avait, juste à vingt mètres, au bord de la piste, un accès souterrain charmant, caché en partie par une petite butte de gazon isolant les alentours du faible bruit des navettes.

L'escalier souterrain était des plus éclairés, des plus avenants, et surmonté d'un coupole de verre. Sans doute plutôt du bon plexi, pensa Kyoshi. Toujours est-il qu'entrer dans ce passage souterrain, loin de déclencher des crises de claustrophobie, était un plaisir de plus dans cette cité à découvrir. Le parfum de la mer se sentait jusqu'ici, et de doux courants d'air poussèrent Kyoshi à chercher les conduits d'aération habilement dissimulés partout.

Le hall était effectivement au bout d'un long couloir roulant. De grande taille, mais sans tomber dans le monumentalisme des architectes terriens, sa forme arrondie et douce le rendait agréable. Kyoshi pensa qu'un concert dans une salle où le son se réverbérait avec tant d'harmonie serait un plaisir. Elle se mit à regretter alors de ne pas avoir voulu s'encombrer de son synthé pour voyager. Grave erreur, pensa-t-elle. Je risque de passer des jours entiers à voyager, de l'avion au train en passant par le cargo spatial poussif, et à part réécrire mon rapport et les textes de Randir, je ne sais pas comment je vais occuper mon temps.

Là encore, d'instinct, ses appendices mentaux voulurent courir d'esprit en esprit, évaluer un danger, une menace, mais elle les fit disparaître une fraction de seconde après leur naissance.


Pour décrire l'atmosphère qui régnait dans le terminal de Tara Eokardia, en ces petites heures de la matinée, le lecteur est prié de se reporter à la lecture du chapitre un: tout y est. Y compris la réaction des rares spectateurs à la vue de Loo-Luna qui, à ce moment, n'était plus la voyageuse fatiguée par un long transit interstellaire, mais une Areylwen à la beauté superlative, avec dans les yeux une flamme certaine.

Elle avait pour l'occasion dépensé une somme plus apte à figurer dans un budget étatique que sur une facture de tailleur. Ses conceptions de la mode féminine dataient quelque peu, et si elle avait eu la joie de voir que certains standards ne mourraient jamais, de nouvelles technologies et de nouvelles idées étaient apparues et elle avait décidé de tester.

C'est ainsi qu'elle avait enfilé un pantalon de soie noire et translucide, décoré d'arabesques à peine plus opaques (les Eyldar l'appelait "dentelle de nuit"). Sa chemise, en edisian d'un blanc très pur, bénéficiait d'un large décolleté fermé par un treillis de lacets; elle tombait au delà des reins, ceints par une large ceintude de cuir reptilien brun-rouge, ornementée d'argent et d'acier, à laquelle était attachée son épée, dans son fourreau resplendissant.

Loo-Luna avait aussi choisi de se laisser tenter par un gilet, formé de lanières tressées en cuir bleu, soie verte et fils d'or, et elle était chaussée de bottines noires et brillantes, à la pointe griffée d'argent. Quelques bijoux discrets complétaient sa tenue: ornements d'oreille en or et rubis, tour de cou fin et sobre en or rouge, une panoplie de bracelets si fins qu'ils n'étaient visibles qu'en groupe. Et, pour finir, à sa chemise, une broche aux armes de sa famille, qu'elle s'était faite faire il y a quelques temps.

Elle s'était habillée pour séduire, et elle put se rendre compte de son efficacité auprès des mâles alentours. Lorsqu'ils la virent aller à la rencontre de la minuscule humaine en SecondSkin(TM) et l'embrasser fougueusement, une bonne partie de l'audience masculine fut déçue. L'autre phantasma ferme.

-- "Les étoiles brillent sur notre rencontre, Kyoshi: Tu as fait bon voyage?"

-- "Euh... très bon, merci." À vrai dire, elle s'y était copieusement ennuyée, au milieu d'un congrès d'épigraphes sexuagénaires monomanes qui venaient visiter les Archives Royales. Mais d'une part, pour des questions de bienséance, ce sont des choses qui ne se disent pas, surtout à une amie très chère qu'on n'a pas revue depuis plusieurs mois, et d'autre part elle avait été quelque peu surprise par la formule de salutation employée.

Loo-Luna contempla la tenue.

-- "Tu n'as pas beaucoup changé."

Kyoshi rit: "Tu sais, j'ai beau être humaine, je ne change pas d'apparence tous les mois..." Quoique..., pensa-t-elle.

Loo-Luna lui rendit son rire. "Tu as raison. Bon, on y va?"

-- "Attends, je dois récupérer mes bagages."


L'Eylwen regarda avec effarement la taille de la malle qui accompagnait Kyoshi. À peine plus petite qu'elle! Heureusement pour la jeune fille, le bagage était muni d'un dispositif antigravité, qui la rendait plus transportable. Comme elle portait aussi un sac à dos informe et une pochette en bandoulière, Loo-Luna se demandait franchement ce qu'elle pouvait bien embarquer.

-- "Au fait, tu sais où tu vas dormir?" La question n'était pas si innocente.

-- "Pas encore. Mais j'ai les adresses de quelques hôtels. Je vais les appeler, et..."

-- "Pourquoi pas chez moi? On a mis une chambre à ma disposition, et le lit est largement assez grand pour deux." Elle tapota la malle qui flottait entre elles deux en ricanant. "On devrait même trouver de la place pour mettre ça quelque part..."

Kyoshi Kerensky, malgré son jeune âge, n'était pas née de la dernière pluie acide. Elle avait compté sur cette proposition. Son sourire scella l'accord.

-- "Tu sais où sont les taxis? Ou le métro, le bus... C'est quoi le plus rapide?"

-- "Le plus rapide, je ne sais pas, mais le plus agréable, c'est la calèche..."

-- "Une calèche? Une... calèche, tu veux dire, avec des chevaux?"

-- "Oui, bien sûr... Enfin, des rokkani, mais même moi j'ai du mal à faire la différence." Loo-Luna sembla s'amuser de la surprise de la Terrienne.

-- "Non, non, ca ira très bien, je ne suis pas pressée, pas du tout..."

Loo-Luna et Kyoshi remontèrent à la surface par un grand autre grand hall d'entrée, en pente douce et aux murs percés de magasins pour touristes un peu désertés ces temps-ci. Kyoshi s'imaginait déjà pouvoir se promener dans une calèche, tranquillement, bercée par le rythme des sabots... Une calèche! Avec de vrais chevaux! Elle ne se souvint en avoir vu qu'une fois, et de loin encore. C'était sur Olympus, et elle avait bien d'autres choses à faire que pouvoir les approcher.

-- "Des vrais chevaux, une vrai calèche... J'ai du mal à croire que je puisse avoir ça en guise de taxi, ici. Et ça a l'air habituel. Je crois que je commence à comprendre pourquoi il y a des gens qui tombent amoureux de cette planète, de ce pays..."

Elle avait dû penser à haute voix, car elle vit Loo-Luna sourire, la calèche venait d'arriver à l'instant. La jeune terrienne discuta avec le palefrenier et elle consacra quelques instants à approcher les deux grosses bêtes de trait à l'allure placide qui tiraient la calèche. À les caresser, à les nourrir, les embrasser, les flatter. Et finalement grimper sur le dos de l'un d'eux, pour un court moment, après quoi, presque à regrets, elle alla s'asseoir dans le véhicule. Ses affaires y était déjà, Loo-Luna l'y rejoint, et le palefrenier lui adressa -- encore -- un sourire amical et compréhensif.

-- "Tout le monde sourit, ici?", demanda-t-elle.

-- "Tout le monde, mademoiselle," lui répondit-il. "C'est pour ça que nous vivons si vieux..."

La remarque fit rire Loo-Luna et la calèche s'ébranla...


-- "Quelles sont les nouvelles? Tu as des nouvelles de Sylvano?..."

Kyoshi se rembrunit brutalement. Elle retira ses verres fumés et plongea son regard carmin dans celui de Loo-Luna.

-- "Il y a eu un... problème." Baissant la voix: "Tu permets que je t'en parle par télépathie?"

Loo-Luna réfléchit deux secondes à la traduction et aquiesca. Kyoshi poursuivit alors:

**Ils se sont fait attaquer par des mercenaires. Leur immeuble a sauté. Sylvano va bien, mais ils ont eu des morts et des blessés. De ce que mon... de ce que je sais, des gens puissants leur en veulent.** Elle soupira: "Damnée békaze..."

Kyoshi était sombre, elle ruminait ce mot "békaze". Bad Karma Zone.

Loo-Luna, songeuse, rompit mentalement le silence.

**Il s'en tirera. Il est plus fort qu'il n'en a l'air.**

Kyoshi hocha la tête, le regard dans le vide. Loo-Luna prit son visage entre ses longues mains nacrées, s'approcha d'elle.

**Kyoshi, tu ne peux rien faire pour l'aider. Alors arrête de te faire des reproches. Je n'ai pas envie de te voir faire une tête de moribonde, d'accord?...**

Le regard pourpre de l'Eylwen plongea dans ses yeux magenta. Elle avait été reine et savait comment regarder les gens suivant ce qu'elle voulait d'eux. Kyoshi n'avait pas l'habitude de ce genre de chose. Quand elle était petite, c'était elle qui mettait les gens mal à l'aise en les regardant.

**Mais, je...** Dur de mentir par télépathie. Surtout à Loo-Luna! **D'accord. Excuse-moi...**

Loo-Luna sourit. Elle connaissait ce genre de situation. Et son remède.

Chapitre 6

La calèche les déposa dans le quartier estudiantin, peu avant l'aube. La malle de Kyoshi mit énormément de mauvaise volonté à se faire descendre à l'étage où logeait Loo-Luna. L'ascenceur étant trop petit pour elle, il fallut lui faire emprunter l'escalier. Elle manqua même de ratatiner un locataire des lieux qui partait à son travail. La conversation eût pu dégénérer si Loo-Luna n'avait pas propulsé la jeune terrienne dans son logis.

Une fois la porte fermée, les deux filles l'enlacèrent et s'embrassèrent longuement.

**Fatiguée?**, demanda l'Eylwen.

**Pas vraiment, et toi?**

**Non plus. Si on allait faire un tour aux bains?**

Eyldar et Atlani partageaient la passion de l'eau -- la salle par laquelle elles venaient d'entrer dans l'appartement occupé par Loo-Luna était d'ailleurs une salle d'eau. Et les bains publics étaient souvent de hauts lieux de la vie sociale.

Kyoshi regarda son amie. **Toi, tu as une idée derrière la tête...** Elle dut se retenir très fort pour ne pas aller voir laquelle. Elle remercia au passage ses mentors de la Rose de Mars -- son père adoptif, plus particulièrement -- d'avoir privilégié le contrôle de ses talents sur leur puissance brute; sans contrôle, un pouvoir d'Arcane peut être aussi dangereux pour son utilisateur que pour la cible, elle en savait quelque chose... De toute façon, Loo-Luna n'était pas non plus une novice dans ce genre d'art dangereux; toute tentative d'infiltration pouvait très bien se retourner contre elle. Elle se contenta dès lors de l'embrasser.

**Je te suis...**


Le jour n'était pas encore levé sur la capitale royale. De faibles lueurs jetaient un éclairage surréaliste aux rues larges et verdoyantes du quartier universitaire et donnaient un aspect fantômatiques aux rares silhouettes qui s'y aventuraient. Certains rentraient complètement cassés d'une bringue inénarrable. D'autres -- tout aussi glauques, quoique sans doute pour d'autres raisons -- partaient au travail. Un groupe effectuait des exercices sur une pelouse, croisement d'arts martiaux lents et de stretching. Quelques rares âmes se contentaient de goûter au charme indicible de l'instant. Tous purent croiser une étrange Eylwen, sur la peau de laquelle les premiers rayons de l'aurore jouaient pour donner des reflets inattendus, et une Alphanne qui compensait sa petite taille par une tenue vestimentaire et une joaillerie qui l'empêchait de passer inaperçue.

Loo-Luna, qui avait auparavant repéré les lieux, conduisit Kyoshi vers une grande bâtisse. "Palais" est un terme plus approprié pour parler de la Dwillindi, la Maison des Fleuves. De l'extérieur, on eût dit une immense coupole, ouverte en son centre, d'où surgissaient ça et là quelques excroissances, elles aussi semblables à des coupoles miniatures. Le tout était agrémenté de quelques tours, de jardins suspendus et, couvert de verdure, se confondait dans le grand parc alentours.

Kyoshi et Loo-Luna entrèrent par un bâtiment de construction plus récente que l'antique bâtisse millénaire, dont la Légende voulait quelle fut construite peu après le Premier Palais, voire même avant. Kyoshi s'étonna brièvement de ce qu'il n'y ait aucun guichet de paiement à l'entrée. Dans la civilisation atlano-eyldarin, les services publics étaient considérés comme gratuits, et les bains en faisaient partie. Elle s'étonna plus longuement de reconnaître les lieux: elle n'avait pas souvenir d'être venu dans ce genre d'endroit, pourtant elle reconnut les stalles des marchands, pour l'heure fermées, et l'accès aux vestiaires. Elle fit une note mentale; ce genre de sentiment de déjà-vu lui était un peu trop familier...

Loo-Luna l'entraîna vers les vestiaires. Un employé de la maison, un Ataneylda d'un fort beau gabarit, leur tendit à chacune une paire de serviettes: une courte pour se laver, une longue pour s'essuyer; il leur proposa aussi des sels et des huiles, que Loo-Luna déclina. Kyoshi faillit se laisser tenter, principalement pour pouvoir rester un peu plus longtemps avec le spécimen, mais sa compagne devait vraiment avoir une idée derrière la tête. Elle l'entraîna plus loin.

Les vestiaires étaient à peu près vides. Il y régnait déjà une température plus qu'agréable, puisque prévue pour des gens sans vêtements. Les deux filles entreprirent donc de rentrer dans cette catégorie. Cela prit du temps... Loo-Luna aurait dit que c'était de la faute de Kyoshi et du caractère compliqué et restrictif de sa tenue, alors que cette dernière aurait prétendu que, d'abord Loo mit quelque temps pour trouver -- et comprendre -- le dispositif d'ouverture, ensuite qu'elle fit durer. Et personne n'aurait eu tout à fait tort.

Elles déambulèrent dans les couloirs du palais, le long des bassins et rivières artificielles. L'endroit était somptueux: marbres et verdure se donnaient la réplique sur plusieurs niveaux, et les tons ocre et bleu de la décoration se mariaent harmonieusement sous les voûtes millénaires. De large verrières permettaient de goûter au lever du jour, ajoutant une touche de lumière imprévue à la symphonie visuelle.

Loo-Luna avait réussi l'exploi de débarasser Kyoshi d'un bonne partie de sa quincaillerie vestimentaire. Bien que cette dernière aie précédemment prétendu avoir perdu la clé des cadenas, l'Eylwen avait pu dérouiller ses anciens talents et, les serrures n'étant guère plus que symboliques, les bracelets de poignets et de chevilles avaient rejoint la combinaison dans le vestiaire. Elle avait néanmoins eu plus de mal avec le tour de cou; non que la serrure fût plus complexe, mais Kyoshi mit beaucoup de mauvaise volonté à se le laisser retirer. Il fallut beaucoup de persuasion et de ruse, mais elle y était arrivée.

Du coup, Kyoshi se sentait plus nue que jamais elle ne l'avait été. De plus, elle n'avait pas de talons-aiguilles et, dans un monde où la taille moyenne dépasse le mètre quatre-vingt, elle se sentait réellement minuscule. Combiné à l'âge moyen des -- rares, mais quand même -- usagers, elle se sentait complètement dominée. La sensation lui était familière, diront les mauvaises langues, mais elle était dans le cas présent différente. Elle était l'enfant, Loo-Luna était la mère. Elle se demanda si Loo sentait la même chose.

Si on le lui eût demandé, l'Eylwen auarit été bien en peine de répondre. Bien sûr, elle avait tendance parfois à voir en Kyoshi Inithil, sa fille et amante perdue. Mais c'était à la limite de l'inconscient.

Dans le cas présent, Loo-Luna se sentait plutôt l'âme d'une initiatrice. Cela lui rappelait d'autres temps, d'autres lieux.

-- "Tu es bien pressée", lui dit Kyoshi.

Elle s'arrêta, se tourna vers Kyoshi et passa ses bras autour de son cou.

-- "Oups! Impatience... Me voila prise en flagrant délit de sentiment terrien." Elle l'embrassa brièvement. **Tu dois être contagieuse...**

Le contact mental se fit plus intime que lors de leur première conversation. La télépathie permettait de redéfinir le terme "intimité": un contact physique doublé d'un contact mental ne laissait pas grand-chose caché. Mais, au risque de se répéter, ni Kyoshi ni Loo n'étaient des novices en matière d'Arcanes, et toutes deux savaient fermer les portes qu'il fallait.


Elles entrèrent dans la salle. Kyoshi savait que les étages supérieurs des thermes eyldarin étaient réservés à des salles de soins et de détente, voire des salons particuliers. Elle se surprit à chercher -- sans succès -- une caméra...

En fait de caméra, il y avait dans la pièce, éclairée par une impressionnante quantité de bougies colorées, plusieurs éléments méritant qu'on s'y arrête. D'abord, d'épais tapis et moult coussins. Ensuite, une sorte de lit près du sol; sa forme était curieuse, avec beaucoup d'arrondi, et semblait fort confortable. Deux réchauds à la forme élaborée jetaient des flammes bleues sous de petites vasques à large col. Enfin, un Atalen les attendait.

-- "Ah, Ljanjas.", dit Loo-Luna. "Je vois que tout est prêt..."

Il hocha la tête; toujours ce sourire particulier... L'éclairage particulier de la salle projetait sur son visage un jeu d'ombre hypnotisant; les traits de son visages étaient très fins. Il était un peu plus petit que l'Eylwen; un corps remarquable, élancé et développé à la fois. Il avait noué ses longs cheveux châtains à l'aide d'une longue lanière faite de cuir et d'or tressé, et ne portait en tout et pour tout qu'un pagne et un simple gilet.

Pour le coup, Kyoshi oublia complètement son sentiment de vulnérabilité et d'infériorité et son système hormonal passa immédiatement en Defcon 1. Les yeux fixé sur le mâle qui se tenait devant elle, elle adressa tout de même un message à Loo-Luna.

**C'était donc ça ton idée...**

**Si elle ne te plaît pas, on peut en changer...**

Kyoshi entra dans la pièce et ferma la porte. Elle rattraperai le décalage horaire un autre jour.

La suite (oui, je sais, je suis sadique…)

Le projet

Index

Livre Blanc

À la poursuite...

Chapitre 1-3

Chapitre 4-6

Chapitre 7-10

Chapitre 11-12

Chapitre 13-14

Fragments d'éternité

Fragment premier

Fragment second -- Neiges

Fragment troisième -- Eylwen

Commentaires: Stéphane "Alias" Gallay -- Ou alors venez troller sur le forum...