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Vous ne voulez pas savoir...

À la poursuite des chats perdus
Prologue: Bibliophilie

Chapitre 7

Dans un souci d'apaisement libidinal de la gent masculine qui lirait ses pages, ainsi que pour ne pas trop énerver la gent féminine par des scènes typiques de la fantasmatique du mâle surhormoné et sous-cervelé rôliste moyen, la Direction, ne reculant devant aucun sacrifice, passera sous silence les folles heures qui suivirent, pour en venir à l'essentiel: Turlan eut beaucoup de mal à trouver Loo-Luna le lendemain.

Ce qui l'ennuyait passablement: une rapide enquête avait révélé un certain nombre de faits marquants quant aux intrusions. D'une part, l'analyse des vers avaient révélé qu'il s'agissait de micro-robots. L'équivalent soviétique de nano-robots. En résumé: des robots très simples qui, en s'assemblant, pouvait donner des robots plus complexes. Une technologie en plein essor, mais qui souffrait encore de problèmes de fiabilité.

Cette analyse avait aussi révélé la présence d'une substance toxique dans certains de ces robots. Pas pour les êtres vivants, mais pour les livres. Un puissant oxydant qui, s'il n'était détecté à temps, pouvait gravement endommager un ouvrage.

Cette dernière nouvelle ennuyait beaucoup plus Turlan: il avait pensé avoir affaire à des voleurs, pas des terroristes. Il devrait probablement en réferrer au Concile Universitaire, ce qui ne l'enthousiasmait guère. Mais il souhaitait avant tout en informer Loo-Luna. Ce qui s'avèra impossible avant la soirée.

C'est cette dernière qui le rappela à la tombée de la nuit.

-- "Lensil, Turlan. Vous aviez souhaité me parler?"

-- "Lensil, Loo-Luna. J'ai eu des informations supplémentaires sur les robots..."

Il synthétisa l'analyse et ses conclusions. Loo-Luna écouta attentivement, puis elle hocha la tête gravement.

-- "C'est en effet très grave. Je dois... réfléchir, Turlan. Je peux vous rappeler plus tard?"

L'archiviste fut quelque peu surpris par la réponse de son interlocutrice, mais il acquiesca néanmoins, Loo-Luna coupa alors la conversation et se tourna sur Kyoshi qui, hors-champ, n'en avait pas perdu une miette et lui avait conseillé par télépathie de temporiser, ne serait-ce qu'un instant.

-- "Bon, tu peux m'expliquer cette histoire en quelques mots? Ça paraît intéressant..."


Il faut dire ce qui est: les explications de Loo-Luna furent tout sauf éclairantes pour Kyoshi. L'Eylwen semblait se délecter de tournures de phrases eyldarin qui dépassaient par la bande d'arrêt d'urgence les capacités de Kyoshi dans cette langue. Elle parvint néanmoins à sauver l'essentiel, c'est-à-dire la trame des événements. Combinée aux informations de Turlan, elle permit à la détective de comprendre les tenants et les aboutissants. Et même d'avoir une idée...

Une heure plus tard, les deux femmes étaient dans le bureau du Maître Archiviste. Kyoshi s'attendait à trouver un repaire de libraire fou, avec moult parchemins et codex anciens au-delà des mots, au milieu d'un capharnaüm épouvantable. Elle fut quelque peu déçue par l'immense table d'acajou, impeccablement rangée. Il y avait ça et là des piles d'ouvrages ou de feuilles volantes, mais tout semblait ordonné.

Loo-Luna avait dû quelque peu forcer la confiance de Turlan pour faire admettre Kyoshi dans cette partie des archives. Visiblement, la perspective d'avoir une adepte de la Rose de Mars en ces lieux s'apparentait à l'équivalent culturel atalen du loup dans la bergerie...

Néanmoins, elles étaient assises toutes les deux dans des fauteuils grand style, face à l'archiviste. Celui-ci, qui avait un âge biblique mais pas canonique, dut prendre quelque secondes pour se concentrer face à deux féminités qui, sans réellement s'en rendre compte, prenaient des poses suggestives; sans doutes des effets rémanents de l'huile de thyrène...

-- "Pour répondre à la question que vous m'avez posée tout à l'heure," attaqua-t-il, "les ouvrages touchés par des oxydations ou des moisissures sont traités dans un laboratoire spécial, rattaché aux Archives Royales."

-- "Rattaché... physiquement?", demanda la détective.

-- "Non, administrativement. Il est situé dans le département de biochimie. C'est un laboratoire très complet, à la pointe des recherches pour ce qui est des..."

Loo-Luna l'interrompit. Bien que sa compagne ne lui ait soufflé mot de ses réflexions, elle commençait à voir où elle voulait en venir.

-- "Donc, les livres sortent des Archives Royales pour être acheminés vers ce laboratoire..."

-- "Oui, mais ils sont transportés sous bonne garde, par un couloir technique souterrain. Il faudrait un commando..."

-- "Et une fois au laboratoire?..", continua Kyoshi.

Turlan hésita. "Je... dois avouer que ce n'est pas de mon ressort, mais de celui du département de biologie..."

Loo-Luna soupira, et Kyoshi en écho. Le coup classique: le maillon faible...

-- "Combien de livres sont actuellement dans ce laboratoire, Turlan?"

-- "Un instant..." Il murmura quelques phrases sèches devant un écran holographique. Une volée de caractères lumineux apparut et le vieil homme pâlit.


Le groupe déboula dans le calme feutré du département de biologie avec la délicatesse du routier mécontent fonçant avec son camion dans la cuisine d'un restoroute douteux. Il y avait là Turlan, en tête, avec une Eylwen et une Alphanne en retrait, ainsi que quatre gardes pour faire bonne mesure.

Le Maître Archiviste était furieux et il passa sa rage sur quelques sous-fifres, qui furent bien vite convaincus d'aller quérir quelqu'un d'important pour se faire engueuler à leur place.

Ce fut le vice-doyen qui s'y colla. L'homme ressemblait à un professeur raté, bouffi de suffisance et usant de formules ampoulées qui eurent le don d'agacer Loo-Luna en moins de dix mots. Imperturbable, il déclara que la sécurité était optimale, que les ouvrages étaient rangés dans une chambre forte, et que les Archives du Vatican, c'était la Salle des Pas Perdus à côté. Il ajouta que, de toute façon, le laboratoire était fermé à cette heure-ci et qui si ces messieurs-dames voulaient bien se donner la peine de repasser demain matin, il se ferait un plaisir d'en discuter de manière civilisée.

Turlan le foudroya du regard et on rouvrit le laboratoire. À l'intérieur de la chambre forte, une vingtaine de mauvaises reproductions attendait le groupe. Le vice-doyen s'évanouit lâchement.

Chapitre 8

On avait évacué le vice-doyen vers des cieux plus hospitaliers et Turlan était parti se coucher avec la tête de ceux qui s'aperçoivent brutalement de l'âge qu'ils ont réellement. Loo-Luna avait pris soin de le faire accompagner, histoire qu'il n'ait pas l'idée incongrue de laver son honneur avec son propre sang.

Ayant passé une bonne partie de la journée à cumuler les péchés capitaux de paresse et luxure, Kyoshi et Loo-Luna se sentaient suffisament d'attaque pour songer au problème. Elles se mirent donc au travail, en commençant par éplucher soigneusement les dossiers du personnel du laboratoire. On avait beau être dans un secteur sensible, la détective américaine comprit vite qu'il y avait une certaine différence entre les conceptions terriennes et atalen de ces deux termes. Les dossiers du personnel flirtaient par endroit avec le lacunaire.

Pour finir, elle appela Rogiero, son ordinateur, depuis un terminal du labo. Pendant les deux heures suivantes, les banques de données de l'université passèrent un sale moment. Les gardes, qui étaient restés, durent repousser les assauts de trois vagues d'ingénieurs systèmes oscillant entre l'inquiétude et la colère. La garde ne mourut point, mais ne se rendit pas non plus.

Sans être une pirate émérite, ce n'était pas le premier système informatique dans lequel Kyoshi entrait sans autorisation... Ledit système n'avait sans doute jamais entendu parler des programmes d'intrusion de la fameuse "HackLeod Highland Brigade", qu'elle s'était procurés pendant sa folle jeunesse et qu'elle avait jalousement tenus à jour jusqu'à présent. C'était désormais chose faite.

Un peu larguée par la débauche de jargonismes et d'argot américain, Loo-Luna se rabattit sur ce qu'elle savait faire: vérifier les bandes de surveillance. Elle observa néanmoins du coin de l'oeil Kyoshi dialoguer avec Rogiero, qui était, avait-elle appris, la personnalité -- le terme exact étant "ego" -- régissant son système informatique. Il faudrait qu'elle ait une conversation avec Kyoshi sur ce sujet, mais plus tard.

Vers trois heures du matin, alors que Kyoshi s'efforçait d'avaler le liquide que le distributeur automatique du laboratoire avait baptisé avec beaucoup d'humour "café", Rogiero rendit son verdict:

-- "J'ai ici trois personnes susceptibles d'avoir pu voler les livres et d'avoir une bonne raison pour le faire: Kirian Drimenis est une ancienne étudiante aux Archives, elle en a été renvoyée par Turlan pour indiscipline; Dominic Mastrantonio, assistant, a pas mal d'arriérés de loyers et quelques dettes; enfin Velyn Santrasin, assistant, est aussi criblé de dettes."

Loo-Luna regarda les visages. **Kyoshi, attend une seconde...**

Elle retourna vers le terminal, manipula les commandes, le bloqua par deux fois, puis, après moult jurons qui ne figuraient pas dans les lexiques -- pourtant fort complets -- de Kyoshi, parvint à faire apparaître une scène des caméras de surveillance, donnant sur le grand hall du département.

La scène, arrêtée, montrait l'assistant, un beau brun qui se la jouait un peu trop macho man, en pleine discussion avec une sorte de valkyrie blonde en tailleur strict -- de coupe détestable, nota mentalement Kyoshi --, autour du mini-bar de l'entrée. Il sembla même à Loo-Luna qu'elle lui glissait un petit paquet, ce dont le jeune homme profita pour essayer de l'embrasser. Sans succès...

-- "Rogiero", demanda Kyoshi, "peux-tu récupérer l'image de la fille blonde et la comparer avec les fichiers de l'université, s'il te plaît..."

-- "Tout de suite..." Il y eut une pause de quelques secondes. "Négatif: pas de correspondance à plus de soixante pour-cent dans les fichiers de l'université."

Kyoshi regarda Loo-Luna. "On a peut-être quelque chose, là..."


La sonnerie tira Dominic d'un rêve plein de bruit et de fureur, où il sauvait d'ignobles malfaisants une jeune beauté quelque peu dévêtue. En fait, Loo-Luna aurait bien voulu entrer sans sonner, seulement ses petits talents de serrurerie s'appliquaient mal aux codes électroniques...

La porte s'ouvrit, d'un côté sur une charmante Eylwen aux longs cheveux dorés et à la peau pâle, de l'autre sur un humain en short, les traits encore chiffonnés par le sommeil et la crinière en pagaille.

Ce dernier considéra son vis-à-vis. Il s'efforça de placer un nom sur le visage, en se disant que s'il l'avait déjà vue et avait oublié son nom, il ne lui restait plus qu'à se faire moine ou à céder aux avances de son voisin de chambrée. Son regard glissa ensuite sur la petite japonaise en tenue moulante. Il ne s'en souvint pas non plus, et dans son esprit un mauvais pressentiment commença à pointer. C'est alors qu'il vit les deux gardes de l'université et se dit qu'il allait avoir besoin de beaucoup de café aujourd'hui...

Loo-Luna s'avança vers lui, le repoussant doucement à l'intérieur d'une main qui se faisait presque caresse. Elle sourit:

-- "Lensil. Vous êtes Dominic Mastrantonio, assistant au laboratoire de restauration des archives. Vous aurez le bon goût de répondre gentiment à nos questions: vous êtes plutôt mignon et ça m'ennuierait qu'on vous abîme..."


-- "Comment ça 'dernière livraison'?"

La voix au téléphone semblait choquée au dernier degré. On lui aurait dit que Lénine était danseuse au Bolchoï que Vladimir n'aurait pas été plus estomaqué. Il rétorqua donc:

-- "Désolé, Monsieur A, mais vu comme ça évolue on ne peut plus prendre de risque. La troisième livraison part aujourd'hui, et c'est la dernière."

-- "Mais ce n'était pas ce qui était prévu..."

-- "Relisez le contrat, Monsieur A... Clause cinq."

Il y eut un silence. Vlad se prit à penser que A relisait effectivement ledit contrat, mais c'était plus de la réflexion que de la lecture.

La voix reprit: "Très bien donc. Vous serez payé comme prévu. Au revoir Camarade!"

Camarade... Il manquait pas d'air, l'Excellence! Car d'après Tatiana, qui avait négocié le contrat, Monsieur A était une gross huile diplomatique de la Mère Patrie. Enfin, un pied-tendre de l'Ouest...

Quelques instants plus tard, Vladimir rentrait à l'appartement. Le capharnaüm était pire que d'habitude. Il y avait comme une odeur de départ précipité dans l'air.

-- "Alors?..."

-- "C'est OK, Tiana. Il a piaulé, mais il paiera."

-- "Bien." La jeune fille à qui Vlad s'était adressée se releva, époussetant machinalement les plis sévères de son tailleur. "C'est pas tout ça les hommes, mais on plie, le taxi ne devrait pas tarder..."


Dominic avait mis peu de temps avant de se mettre à table. Loo-Luna et Kyoshi avait joué à gentille fille/méchante fille pendant que les gardes se tordaient de rire dans un coin et l'assistant avait joué poliment le jeu avant de décréter que son honneur était sauf. De toute façon, Kyoshi l'avait quasi-instinctivement sondé, ce qui fait qu'elle connaissait les réponses aux questions avant lui. Elle avait eu aussi un fort bel aperçu de ses fantasmes, qui restaient somme toute dans les standards du mâle terrien de culture méditerranéenne. Loo-Luna, qui avait remarqué la chose, lui fit les gros yeux.

C'était effectivement l'assistant qui avait accepté de faire sortir les ouvrages de la chambre forte, les remplaçant par des copies. La commanditaire lui avait fait miroiter une solide quantité de Mallin en échange de sa collaboration, ajouté de quelques soirées en tête-à-tête. Qu'il attendait toujours, le naïf...

Le bellâtre mal réveillé avait de plus donné donné un nom: Natacha Sulmanskaïa. À partir de là, Kyoshi n'avait eu aucun mal à extorquer au réseau universitaire le lieu de villégiature de la demoiselle.

Le bâtiment avait connu des jours meilleurs, et en fait même le souvenir de ces jours meilleurs avait connu des jours meilleurs... Il s'agissait d'une vieille bâtisse terne, à la limite du quartier étudiant, qui ressemblait à une usine mal reconvertie, dans un style néo-industrialiste terrien. Le système d'information universitaire lui apprit que ledit bâtiment avait été construit vers 2114, d'abord comme labo semi-privé pour une initiative de recherche jointe avec la Lebanese Petrochemicals, qui ensuite avait coulé, laissant un trou de quelques milliards de shekelim dans le paysage et un bâtiment à peine terminé sur Eokard. Ce qui lui fit une belle jambe.

Les gardes étaient partisans d'appeler des renforts, mais Kyoshi pressentait une urgence et Loo-Luna était aussi d'avis qu'après tout le tintouin qui avait été fait autour de ces archives, il devenait urgent d'agir. En routière avisée et aguerrie de ce genre d'opération, Kyoshi dépêcha deux des gardes à l'arrière, en laissa un à la porte en bas, et embarqua le dernier pour les accompagner, Loo-Luna et elle, pour passer par la porte avant.

Le plus silencieusement possible, le trio monta l'escalier lépreux qui menait à l'appartement des présumés booknappeurs. Loo-Luna avait dégainé son épée, ce qui avait fait sourciller le garde, et Kyoshi avait préparé son revolver AMAG 20 mm., ce qui l'inquiéta beaucoup plus; lui-même n'étant équipé que d'un fusil neutralisateur, il se sentait un peu petit-bras dans la bagarre.

Ils arrivèrent sur le palier dans le plus parfait silence. Il n'y avait qu'une seule porte, ce qui était tant mieux. Ils la regardèrent un instant et celle-ci, sans doute pour les punir de la fixer aussi intensément, s'ouvrit.

En face d'eux, trois garçons et une fille, à l'air ahuri, les regardèrent, les bras chargés de malles et de valises.

Chapitre 9

Il y avait sur le pas de la porte, face à Kyoshi et fia Loo-Luna Tatiana Seremenskova, Yuri Prichkine, Vladimir Borczwicz et Lissenko Vassarienkov. Tous les quatre avaient fait leurs études ensemble, à l'Académie des Sciences de Leningrad, avant de s'en faire virer pour détournement de matériel. Spécialistes en robotique et programmation et grand amateurs de coups foireux, ils avaient utilisé le matériel de l'université pour des raids sur les réserves de la cantine, puis sur le bar personnel du Recteur, ce qui avait été diversement apprécié. Depuis, ils s'étaient auto-intitulés les "Leningrad Robot Masters" et traînaient leur savoir-faire et leurs bricolages à base de technologie paramilitaire soviétique un peu partout dans l'espace terrien.

Mais ça, les deux filles ne l'apprirent que bien plus tard. Sur le moment, ils étaient face à quatre individus à l'air slave prononcé, engoncé dans des équivalents soviétiques de costumes de ville (lycra-qui-gratte, polystyrène, coupe aléatoire en retard de vingt ans et couleurs douteuses) et porteurs de valises renforcées qui auraient sans doute donné du fil à retordre à un rouleau compresseur.

La situation historique ressembla bien vite à un élastique sur lequel on aurait trop tiré: tension extrême, puis rupture. Kyoshi fit un pas en avant et manqua de se prendre la porte dans la figure. Vexée, elle recula de deux mètres et colla une balle dans la serrure.

Le manuel d'utilisation du NCC Gauss Mod. 19 est pourtant formel sur ce point: "Ne pas utiliser en intérieur!".

Le champ magnétique claqua tous les néons alentours et les écrans défensifs firent de l'auto-allumage. De plus, l'impact de la balle de 20 mm. tirée à 5000 km/h à bout portant dans une porte en bois massif et ferrures diverses fit l'effet d'une bombe, tant au niveau structurel de la porte qu'au niveau sonore.

À l'intérieur de l'appartement, c'était une belle panique. Le groupe reflua en désordre vers la sortie de secours, avant de s'apercevoir qu'elle était aussi surveillée. Ce fut à ce moment-là que la porte explosa. La seule à avoir un réflexe sensé dans cette histoire fut Tatiana: elle ouvrit une de ses malles et lança un bref ordre en slave:

-- "Défense!"


Kyoshi entra dans l'appartement, revolver au poing et oreilles bourdonnantes. Loo-Luna la suivit, elle à moitié sourde. Le vestibule battait tous les records de quelconque, avec une petite touche de décrépitude domestique pour faire original. La porte du fond était fermée, et Loo-Luna craint un instant qu'Kyoshi ne remette une deuxième couche de bang, histoire que le quartier comprenne qu'elle ne plaisantait pas. Mais contre toute attente, elle se plaqua contre le mur, à côté de la porte.

La détective se concentra, laissant sa conscience vaguer par delà les obstacles physiques. Elle ne sentit pas de menace immédiate: les quatre semblaient même vouloir filer par ce qui semblait être l'escalier de secours. L'image mentale était floue, mais Kyoshi capta l'idée de fuite précipitée; l'absence de sentiments de haine ou de vengeance la laissa penser que la porte n'était peut-être pas piégée.

Elle l'ouvrit.

Kyoshi et Loo-Luna virent la pièce principale, là encore d'une banalité affligeante. Au sol se trouvaient comme des débris de métal de petite taille; plus des éclats, en fait... Loo-Luna eut à peine le temps de se dire que tout cela lui rappelait quelque chose que les débris de métal commencèrent doucement à s'élever, comme autant de papillons. Un instant fascinées, les deux filles se reprirent et, ensemble, mirent un pied dans la pièce. C'était une mauvaise idée.

L'instant d'après, elles se trouvèrent au coeur d'une nuée métallique. Loo-Luna, aveuglée et affolée, commença à donner des grands coups d'épée dans le vite. Si les modules volants s'en accomodèrent très bien, le décor apprécia moins. Kyoshi aussi, qui sentit le souffle de la lame un peu trop près de son scalp pour être réellement rassurée. Le garde qui les accompagnait était resté un instant interdit devant le spectacle puis, n'écoutant que son courage et pas son cerveau, se lança dans la nuée dans l'espoir vain d'en sortir Kyoshi, Loo-Luna, voire les deux. Au total, il fut pris aussi dans la tourmente...

Ils avaient l'impression d'être dans un croisement sauvage entre un kaléidoscope et un mixer: sans être à proprement parler aiguisées, les ailes des modules étaient tranchantes et se moquaient bien des écrans, lacérant peau et vêtements. De plus, n'y voyant rien, ils se cognaient aux uns et aux autres, ainsi qu'aux meubles et aux parois.

Kyoshi tira deux coups de plus, vers le plafond, plus par dépit que par réel souci d'efficacité. Elle eut néanmoins la surprise de constater un éclaircissement de la nuée autour d'elle. Elle eut comme un éclair: à tâtons, elle retira le chargeur de son AMAG et débloqua la sécurité interne. Puis elle appuya sur la gâchette. Une fois, deux fois, trois fois... À chaque déclenchement, le puissant champ magnétique grillait les petits cerveaux de quelques dizaines de modules; le garde, qui avait entretemps ramassé une édition dominicale de la Nova Pravda, s'employait à faire la chasse au moustique robotisée, imitée en cela par Loo-Luna, qui agitait frénétiquement sa blouse.

En quelques minutes, la pièce fut nettoyée. Pendant ce temps, les roboticiens avaient pu neutraliser les gardes de derrière, principalement en leur faisant choir une de leur valise sur la coloquinte, et s'étaient volatilisés, laissant derrière eux une bonne partie de leur mantériel. Alertée par les bruits de guerre civile, la milice arriva et les explications furent longues et pénibles...

Chapitre 10

Il fallut bien tout le poids de l'autorité morale de Turlan pour parvenir à tirer les deux fgilles des griffes de la Milice. Celle-ci, comme l'avait d'ailleurs fort judicieusement fait remarquer le douanier à Kyoshi, n'aimait pas qu'on fasse une reprise des Révoltes Mutantes de Copacabana dans sa juridiction. Surtout avec un revolver qui, d'une seule balle, pouvait transformer un de leurs patrouilleurs antigrav en trou dans le sol...

Le corpus delicti fut d'ailleurs promptement mis sous séquestre, au grand dam de l'Américaine.

Cela dit, Turlan n'affichait pas sa mine des grands jours. D'autant plus qu'il avait été tiré du lit après peu d'heures de sommeil et l'ingestion d'un somnifère...

-- "Récapitulons...", commença Kyoshi, alors que le trio marchait dans les rues de la cité étudiante.

"Nous avons donc une équipe de roboticiens qui introduisent leurs petits engins dans les Archives Royales. Ils contaminent -- si l'on peut dire -- un certain nombre d'ouvrages précieux, pour que ceux-ci soient acheminés vers le laboratoire de restauration. Là, un complice se charge de leur substituer des copies et de les faire sortir."

-- "Sans doute pour les vendre à des collectionneurs peu scrupuleux", complèta Turlan sur un ton qui aurait filé le cafard à un congrès de clowns.

Loo-Luna aquiesca silencieusement. "Ce qui est ennuyeux, c'est qu'on n'ait retrouvé aucun livre."

-- "Ils les ont sans doute embarqué avec eux", dit Kyoshi.

-- "Peu de chance", répondit l'Eylwen, "ou alors un ou deux, pas plus. Ce sont de gros ouvrages, et lourds en plus."

-- "Alors ils sont sans doute déjà sortis du territoire", soupira Turlan. "Nous ne les reverrons sans doute jamais."

Le trio marcha quelques instants en silence.

-- "Pas sûr", reprit Kyoshi. "Je suis à peu près certaine que ces petits voleurs ne savaient pas réellement ce qu'ils volaient."

Loo-Luna et Turlan s'arrêtèrent et la regardèrent. Elle reprit:

-- "Ces livres sont donc rares, chers, lourds; bref, autant voler une statue monumentale ou une tonne de lingots d'or. Pour écouler ce genre de chose, il faut une filière, et je ne pense pas qu'ils puissent en avoir une. Ce qui implique qu'ils avaient sans doute un commanditaire, qui lui sait très bien ce qu'il veut... et dispose de la filière!"

Kyoshi pivota théâtralement sur la pointe de ses escarpins et se laissa tomber sur un banc. Elle décocha un sourire en forme de CQFD à ses compagnons de marche.

Après un instant de silence, Turlan reprit l'initiative et la parole:

-- "Il suffit donc de savoir qui est ce commanditaire..." Il se tourna vers Kyoshi. "Vous avez une idée?"

La détective se demanda un instant s'il y avait un sous-entendu et se retint à quatre de ne pas aller voir. Le vieil archiviste avait eu une dure journée et elle pouvait bien lui accorder le bénéfice du doute.

-- "Pas encore", répondit-elle, "mais on va voir si on ne trouve pas quelque chose. Loo, tu as pu...?"

Avant qu'elle ait pu terminer sa phrase, Loo-Luna produisit une poignée de cristaux au creux d'une bourse en cuir dans une main, ainsi que quelques cartes-mémoire dans l'autre. Elle avait le sourire du chat qui venait de manger le canari. Ai lui sauta au cou -- très littéralement: en passant de la position assise à la position accrochée au cou de Loo-Luna -- et l'embrassa.


Quelques minutes plus tard, ils étaient tous trois à la terrasse d'un café parisien, ou tout au moins d'une fidèle reconstitution d'icelui. La matinée était douce et les clients nombreux. Kyoshi faillit s'étouffer avec le "p'tit noir" qu'on lui avait servi; elle évitait le café à Copacabana et elle ne s'était pas souvenue que la version européenne était pire...

Rogiero et elle passaient en revue les données contenues dans les différents supports de stockage, pendant que Loo-Luna et Turlan parlaient, lui semblait-il, bouquins. Un traducteur de pan-slave et un autre de russe avait été téléchargés pour l'occasion, les petits taquins poussant le vice jusqu'à écrire avec l'alphabet cyrillique (qui, malgré une idée reçue tenace, n'est pas l'alphabet officiel de la langue slave unifiée).

L'immense majorité des informations concernaient des applications robotiques qui passaient au-dessus de la tête de tout le monde. Ça et là, quelques images repêchées sur des serveurs qualifiés pudiquement de "pour adultes" (qu'Kyoshi jugea d'une banalité déprimante), une volée de vers qui perdaient sans doute beaucoup à la traduction.

Elle retrouva néanmoins dans une partition qui servait de mémoire-cache à un système d'information en ligne, une page provenant d'une source peu conventionnelle. Et qui pour tout dire faisait un peu tache au milieu des autres sujets... La page, à l'en-tête officiel de la Confédération Européenne, était intitulée "Personnel fédéral ayant rang d'ambassadeur -- République Coopérative de Düttweiler"; suivait une bonne centaine de noms.

**Quelque chose?** Loo-Luna avait remarqué la pause de Kyoshi.

**Peut-être... En tout cas, ça mérite d'être approfondi!**

L'Eylwen vit mentalement approcher un raz-de-marée de jargonisme et préféra ne pas insister. Au demeurant, la conversation qu'elle avait avec Turlan était autrement plus importante.

-- "Oui", disait le vieil archiviste, "la Légende de l'Inithil -- appelée aussi 'Légende d'Inithil', d'ailleurs -- est intéressante à plusieurs point de vue. D'abord à cause du grand nombre de variantes qui en sont issues, et aussi pour les différents niveaux de lecture possibles.

"D'une part, on peut voir l'Inithil comme une des multiples Légendes stellaires, sur des vaisseaux étranges sauvant des voyageurs en perdition. Mais on a aussi l'allusion au clan stellaire, qui a vu plus que les autres et qui connaît intimement certains des secrets de l'Univers...

"Mais là où cette Légende va plus loin, c'est dans la manière qu'elle assimile ces deux concepts et qu'elle les lie avec un troisième: celui des Secrets Anciens. Ceux qui remontent avent l'Exil... Vous savez sans doute à quel point ces sujets sont sensibles, surtout depuis que ces historiens terriens et leurs 'méthodes scientifiques' sont venus mettre leur nez dedans. Ça a été de tous temps un sujet sensible, et dans le cas de l'Intihil, une source très précise fait état du fait que ceux du vaisseau, ce clan étrange, possédaient de ces Secrets Anciens. Et que, de ce fait, ils étaient en quelque sorte maudits par la connaissance qu'ils en avaient.

"Vous m'aviez parlé, je crois, de Celebrin? Eh bien c'est étrange, parce qu'une légende similaire à celle de l'Inithil porte sur un vaisseau appelé le Celebrin... C'est une occurence beaucoup plus rare; j'ai même cru voir la mention d'un Clan Celebrin, qui aurait résidé dans la Frontière, vers Avadi-Arag, je crois... Oui, c'est ça: les anciennes Principautés Unies. Je peux vous retrouver les références, notez..."

Loo-Luna sembla comme sortir d'une trance.

-- "Euh... oui, oui... s'il vous plaît, Turlan."

Il hocha la tête. "Avec plaisir, Loo-Luna. Ce sont des sujets passionannts, des Légendes flamboyantes, et pourtant infiniment tragiques. C'est sans doute pour cela qu'elles sont maintenant peu connues, ce qui est bien dommage car souvent, les narrations sont de qualité exceptionnelles. Un peu comme les Légendes sur les Extérieurs..."

-- "Pardon?" C'était Kyoshi, qui à la mention du nom, avait levé la tête de son écran.

-- "Les Extérieurs. Une peuplade étrange, de voyageurs stellaires. Certains pensent qu'il pourrait s'agir d'un clan elenari qui aurait viré andoril, mais on pense le plus souvent à une civilisation non encore recensée...

"C'est d'ailleurs amusant: les deux légendes, celle de l'Inithil et celle des Extérieurs, sont liées..."

La suite

Le projet

Index

Livre Blanc

À la poursuite...

Chapitre 1-3

Chapitre 4-6

Chapitre 7-10

Chapitre 11-12

Chapitre 13-14

Fragments d'éternité

Fragment premier

Fragment second -- Neiges

Fragment troisième -- Eylwen

Commentaires: Stéphane "Alias" Gallay -- Ou alors venez troller sur le forum...